Transcrit par Louis Butin. |
Une femme, dans la chambre, se passe une chemise de nuit — une intime du patron : |
Cromar, vous avez connu Mirréla, ma cousine ? |
Cromar : Je ne l’ai vue qu’une fois. Je ne me souviens pas très bien d’elle. Jamais je n’aurais soupçonné que cette cousine que je trouvais pimbêche fût si violente… |
Quand Mirréla s’est mariée avec ce gars, on a bien compris de quoi il retournait : ils avaient choisi d’un commun accord une chevillière en tissu, de sorte que leur lien de noces s’userait assez vite. Ce serait un mariage pour profit financier, vous imaginez. Juste pour la prime familiale ! Après deux ans, la chevillière de son mari s’étant suffisamment effilochée, a rompu ; et il l’a fait annoncer en bonne forme à toute la ville par avis religieux. Ah… le madré d’homme ! Je ne suis pas convaincue que ma cousine avait eu son mot à dire dans le choix de la chevillière, et si pour ma part je devais me marier, ce serait une chevillière de métal que je choisirais ! Je ne veux pas être la greluchette à couettes du milicien. Non, je n’y crois pas à cette histoire qu’on se retrouve entre époux chevillés, dans le royaume mangé ! C’est les hommes qui ont inventé ça pour nous amadouer, et nous faire des noces de tissu, pour s’assurer des harems après la mort ; allez, pas besoin de se marier, je vous y trouverai quand même ! |
Il obtint d’elle exactement ce qu’il voulait. Il la posta dans une échoppe miteuse qu’il sous-louait à des contrebandiers, puis il lui demanda d’écouler les marchandises que ses amis volaient de ci de là. Pratique : il n’avait pas besoin de la payer. Tous les jours, c’était pour elle les humiliations à la chaîne : traitée de voleuse par tous, certains nobles lui crachaient dessus. Elle était assise à une table bricolée de tôle et de bois, ses grandes jambes sous son menton, maladroite et gênée, trop grande, tirant sur sa jupe élimée pour cacher ses genoux noirs et les bleus sur ses tibias. Elle se dépliait devant les clients amusés et fouillait derrière elle pour en sortir toutes sortes d’articles ; les clients lorgnaient son arrière-train replet. Des marchandises volées ; du recel, elle savait bien ce que ça voulait dire. |
Toute grosse qu’elle était, elle a grimpé par les toits jusqu’à la maison de son sus-époux. |
Parvenue à la terrasse, elle est entrée dans la maison endormie. Elle est allée dans la chambre des enfants. Avec son couteau, elle a tranché la bouche de leur toute petite fille, l’a laissée s’étouffer de sang. Puis elle a entrepris de lui retourner la peau sur le corps, grâce à la préparation de bolteriane, dont les tanneries font grande consommation. Vous ne pouvez pas imaginer avec quel détachement les juges royaux faisaient leurs descriptions. Oh ! Bon sang ! Et l’autre enfant dormait paisiblement, derrière un rideau. Son travail fini, elle a pendu le bébé par la peau aux linteaux du berceau. Ils ont découvert la petite aux cris de son frère ; l’enfant brillait, rouge dans la lumière matinale. |
Cromar : Une femme, faire de telles horreurs, je suis sceptique. |
Ména : Vous ne me croyez pas? |
Cromar : Je veux savoir comment ça se termine. Parce qu’ils ont dû prendre des précautions, après la mort de leur bébé.
Après ça, elle a envoyé une missive anonyme à son ancien mari où elle l’enjoignait de se rendre chez la sœur de sa femme. |
Le pauvre gars retrouva son épouse déchevillée, défigurée et impudique, cadavre grotesque, et la sœur de celle-ci, morte d’inanition, dans un petit placard. |
La Candiça Prospère d’Haakta a tout tenté pour trouver le meurtrier ; mais ses plus talentueux fonctionnaires se heurtaient à un problème irrévocable : ils étaient proprement impuissants à imaginer une femme capable d’une telle atrocité. Tout pourtant accusait ma cousine : le mobile, les outils de tannerie… Mais les tanneries emploient tant de personnes et les Prospères avaient tellement concentré leurs recherches sur les hommes qu’ils ne relevèrent pas le nom de ma cousine. Jamais son sus-époux ne la suspecta non plus ; pour lui, elle n’était pas capable de formuler la moindre contrariété si ce n’était par une crise de larmes. |
Elle entra chez lui comme la première nuit, telle un gros chat passant de terrasse en terrasse. |
Elle tua le fils, sépara du corps la tête de l’enfant. Puis elle pénétra dans la chambre de son sus-époux. Il était assis sur le lit, incrédule et stupéfié d’alcools puissants. Elle s’approcha, le toucha et lui administra une piqûre de drogue. Il n’esquissa aucun cri ; sa bouche béait, elle y mit des chiffons. Ma grande cousine lui attacha les mains derrière le dos, puis l’assit contre son lit, badigeonna le ventre de la préparation de bolteriane, lui découpa la panse en veillant qu’il reste en vie et toujours conscient. Lui, il regardait ce qu’on lui faisait avec effroi. Elle dépaqueta soigneusement devant lui la tête de son jeune fils, puis, laborieusement, la fit entrer dans le ventre ouvert, décollé, de l’homme. Il mourut, gargouillant pendant qu’elle recousait sa bedaine distendue. Fumée de cigare, Cromar fait la gueule : J’aurais préféré ne pas entendre cette horreur. Comment voulez-vous que je dorme maintenant?
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Cromar : Ouf. Ména, je dois avouer que vous m’avez bien eu. Ce brave Cromar a failli croire à votre terrible histoire... |
© Oscar Braque, Louis Butin et Augustin Roussette